Drôle de question.
(bienvenue dans ma tête)
Le progrès, c’est ce truc qui donne l’impression de ne jamais vouloir s’arrêter.
« On n’arrête pas le progrès »
Vous pouvez le prendre soit comme un prophétie,
Soit comme une prophétie auto-réalisatrice (donc une excuse),
Soit comme un outil amorale,
Soit crier au capitalisme thermo-industrielle patriarcal qui détruit tout,
Soit l’adoré parce qu’il pousse l’humanité (et le Vivant ?) vers l’infini, la découverte, même si c’est au prix de certains sacrifices.
Je me suis longtemps posé ces questions.
Doit-on sans cesse évoluer, au motif que cela est possible ?
Est ce juste, en sachant que certains, notamment les non-humains, en mourront ?
N’est ce pas notre destin en tant qu’espèce douée d’abstraction et capable d’user d’énergie extra-corporelle (le feu, l’électricité, la fission, le vent, etc.)
Que de faire ce que nous seuls pouvons faire ?
Nietzsch écrivait : « Fais ce que toi seul peut faire, deviens le maître et le sculpteur de toi-même »
Ces question m’ont hanté.
Notamment parce que j’adore le progrès, je trouve ça magique.
Mais le prix a payé est si fort… que je me demande s’il en vaut la peine.
Et si on est en droit de l’imposer à nos colocataires.
Mais il y a peu de temps, j’ai eu une pensée qui a germé, et qui fait disparaître cette question.
Une question qui ballait la morale avec une violence qui met mal à l’aise.
Parce que si l’on change de mot et que l’on appelle progrès « évolution »,
Alors on se retrouve avec quelque chose de fondamentalement vivant : « On n’arrête pas l’évolution »
Mais attention, on parle ici d’évolution au sens biologique du terme.
Un singe, une bactérie ou une méduse sont exactement aussi évolué qu’un être humain,
Nous nous sommes juste adapté différemment et tout aussi efficacement à notre milieu.
Au mieux, on pourrait dire, « on n’arrête (presque) pas la complexité » (à part lors des extinctions massives, comme celle que nous provoquons).
La Vie a eu tendance à faire apparaître des organismes de plus en plus complexes (même si le nombre d’espèces peu complexes a lui aussi évolué de manière écrasante).
Cette vision balaye la question morale parce qu’elle accepte la disparition avec froideur.
Le progrès sacrifie des Vivants.
Mais peut-être ne sommes nous pas maîtres de ce progrès.
Peut-être est il un mécanisme.
Comme l’évolution de la Vie est un mécanisme.
Nous sommes obligés de subir ou de profiter de cette évolution.
Et alors si l’on veut la trouver immorale parce que cruelle, on est obligé de faire ce jugement morale « une mécanisme d’origine anthropologique est plus mauvais qu’un mécanisme de n’importe qu’elle autre espèce ».
Lorsque la lionne améliore sa technique de chasse,
Ou que le mouton acquiert une enzyme lui permettant de brouter telle herbe plutôt qu’une autre,
Il « progresse », il évolue, ou du moins, il change, au détriment d’une autre espèce.
Y’a-t-il une morale là dedans ?
J’ai l’impression que non.
Simplement la froideur d’un mécanisme.
Aussi « vivant » ou « naturel » nous apparaît il du fait de notre sensibilité morale justement.
Est ce que c’est une façon de se dédouaner et de s’autoriser au cynisme et à la cruauté ?
Bien sûr que non.
Si je vous tiens ce discours, c’est parce que je sais que vous essaierez de comprendre ce que je voulais dire.
Je ne le tiendrais pas en face d’un parterre d’industriels de l’agroalimentaire élevage et compagnie rasant les forêts.
Eux, effectivement, sans servirai pour se dédouaner.
Mais si je vous le partage à vous, c’est parce que je trouve qu’il apporte une sorte de paix.
Même s’il pose peut-être plus de questions qu’il n’y répond.
Dire qu’on n’arrête pas le progrès comme on n’arrête pas l’évolution,
C’est, pour moi, ne pas (trop) s’attrister du monde qui change, et essayer de trouver sa place en son sein.
C’est admettre que l’on trouve la Vie plus belle lorsqu’elle est foisonnante plutôt que désertique.
Et c’est vouloir essaimer cette complexité l’a où elle n’existe pas encore.
Et la sauvegarder là où elle prolifère.
Cette vision a tendance à rapprocher le gros méchant humain de ses colocataires de vaisseau spatial.
Nous sommes Vivants.
Nous nous battons contre l’aride, le désert, le vide et le silence des étendues morbides.
Nous sommes une même tribu.
Notre progrès (comme celui d’autres espèces) ne doit pas « faire de mal », mais tendre à faire proliférer la Vie, la complexité, ce qui n’existait pas avant.
Tout comme l’évolution « naturelle » le fait.
Saint Exupery écrivait dans sa toute dernière lettre : « Moi, j’aurai voulu être jardinier »
Et c’est une notion qui revient souvent chez lui : jardinier des hommes, protecteur de la Terre.
Alors plutôt que se battre contre le progrès, ce mécanisme qui nous dépasse,
Je nous souhaite de nous battre pour sauvegarder la complexité et la simplicité,
ce qui existe et ce qui n’existait pas avant.
Je nous souhaite de trouver notre place dans ce processus amorale,
Je nous souhaite de propager et sauvegarder la vie et la complexité,
Faire des déserts des jardins,
Des champs monoculturels des forêts où grouille la vie plutôt que la mort et tout ce qui finit en -cides, aussi naturels ou bio soient ils,
Et surtout s’émerveiller de ces technologies, qu’elles soient vivantes ou inertes, qui nous permettent de faire ce que personne n’avait pu faire avant nous (nous, la grande tribu des colocataires).
Je nous souhaite surtout de nous émerveiller de tout ça, en conscience.
De ne pas tant critiquer la technologie que l’utiliser avec noblesse.
De ne pas traiter un bulldozer comme un esclave, mais bien comme un Hercule.
Les emails comme des missives apportés par de valeureux marathoniens,
Les appels téléphoniques comme une sorte de télépathie magique.
Nous avons de la chance, mais nous ne nous en rendons pas vraiment compte.
Emerveillons nous.
A nous de faire transparaître cette émerveillement et cette noblesse dans tout ce que nous entreprenons.
Nous créons et nous sommes le monde.
Nous sommes, plus que jamais, celles et ceux que nous attendons.
Alors au boulot.
A demain.
Maxence